La sociologie des cités et les impasses du ghetto. Retour sur une controverse et critique des théories du ghetto français
Les cités HLM sont-elles des ghettos ? Cette question a donné lieu à une longue controverse sociologique française sur laquelle cet article propose de revenir, avant de la prolonger. Alors que plusieurs sociologues se sont d’abord attelés à déconstruire l’idée de ghetto, décrite comme un mythe relevant du sens commun politique et médiatique, à partir des années 2000, d’autres sociologues élaborent au contraire une théorie savante du ghetto français. Reprenant cette disputatio, l’article critique à nouveau frais l’idée de ghetto, tenant compte de sa métamorphose en théorie savante. Il examine successivement les deux piliers de cette théorie, la relégation et le contre-monde, les confrontant à l’abondante littérature sociologique sur les cités. D’une part, il apparaît que si les théories du ghetto soulignent à juste titre l’ampleur des discriminations raciales, les enquêtes sur la ségrégation et les mobilités apportent un démenti au postulat de la relégation. D’autre part, l’idée selon laquelle ces quartiers abritent un contre-monde régi par la culture de rue, l’économie informelle, la violence et un sexisme exacerbé soulève d’importantes objections : non seulement celle-ci repose sur un raisonnement problématique, qui généralise à l’ensemble des cités des observations faites sur une minorité de la population, mais le tableau qu’elle dresse d’un univers singulier, où pratiques et normes sociales seraient à la fois radicalement différentes et construites par opposition au reste du monde social, est empiriquement peu crédible, tout en contribuant à la stigmatisation des habitant·es des cités et des minorités raciales.
- ghetto
- cités
- ségrégation
- quartiers populaires
- race