Vers la fin de la transmission ? De l'usage du logement pour assurer ses vieux jours

Débats
Le prêt à hypothèque inversée
Par Anne Gotman
Français

Résumé

Dans un contexte où le vieillissement de la population des pays développés se conjugue aux politiques de réduction de la dépense publique, le prêt à hypothèque inversée spécialement conçu pour les propriétaires âgés de 62 ans et plus, tend à devenir un levier des politiques sociales et patrimoniales conçues pour faire face au surcoût de l’allongement de la vie. Ce « produit financier » introduit par les établissements bancaires privés, qui autorise les propriétaires âgés à emprunter, contre l’hypothèque d’une partie de leur logement, une somme d’argent qu’ils n’auront pas à rembourser mais qui sera déduite du patrimoine venant à succession, fait l’objet d’incitations gouvernementales plus ou moins directes selon les systèmes de santé et de retraites des pays concernés. Le prêt à hypothèque dite « inversée », car à capital décroissant et à dette croissante — contrairement aux prêts hypothécaires classiques à capital croissant et à dette décroissante — est en effet censé permettre aux propriétaires âgés de vieillir chez eux, tout en assumant les dépenses de leurs vieux jours. Il s’agira ici d’interroger, par-delà la diversité des contextes nationaux dans lesquels ces prêts commencent à se déployer, les conditions sociopolitiques de leur émergence, les logiques sous-jacentes de leur conception et de leur mise sur le marché ainsi que leurs implications quant à la définition du logement, des rapports générationnels et de la vocation successorale — avec une mention spéciale pour les États-Unis où les « reverse mortgages » font l’objet d’une politique au niveau fédéral. Sur le plan théorique, on montrera également la liaison directe entre la conception des prêts à hypothèque inversée et l’hypothèse dite du « cycle de vie » qui circonscrit le comportement d’épargne des ménages à leur horizon de vie, compte non tenu de leur descendance et des motifs de transmission intergénérationnelle. On soulignera ensuite comment la propriété du logement, considérée comme un actif indûment muré dans la pierre et destiné à être reconverti en liquidité, est versé au pot des « produits » financiers spéculatifs par-delà une incompatibilité historique de longue durée. On montrera enfin que l’usage des prêts à hypothèque par les ménages acheteurs répond davantage à la nécessité de se maintenir à flot qu’à dégager des fonds supplémentaires pour faire face aux besoins de santé, et que leur achat vise plus à résoudre des problèmes de trésorerie qu’à anticiper les besoins du vieillissement. Plus qu’à la substitution programmée de la transmission intergénérationnelle au profit de l’autofinancement volontaire de la santé aux âges élevés, l’achat des prêts à hypothèque inversée correspondrait alors à l’acquiescement à un appauvrissement accru qui, dans certains cas, peut compromettre les choix de vie, et à une renonciation à transmettre qui, pour être « raisonnable », contrevient aux objectifs mêmes de l’accession à la propriété dont la transmission fait intégralement partie. L’analyse, étayée sur le dépouillement de la littérature technique, institutionnelle et scientifique relative à la diffusion des reverses mortgages dans les pays anglo-saxons, asiatiques et en France, s’appuie sur une réflexion historico-juridique sur le concept de logement, d’une part ; sur les résultats de nos enquêtes sur l’héritage et sa transmission en milieu urbain, d’autre part.

Mots-clés

  • logement
  • propriété
  • prêt à hypothèque inversée
  • transmission intergénérationnelle
Voir l'article sur Cairn.info