Comment les docteurs deviennent-ils directeurs de thèse ?

Enquêtes
Le rôle des réseaux disponibles
Par Olivier Godechot, Alexandra Louvet
Français

Résumé

Dans cet article, nous étudions l’accès des docteurs à la direction de thèse. Le premier apport est d’abord méthodologique. Il montre comment on peut exploiter un fichier administratif, le fichier des thèses soutenues en France de 1970 à 2002, relativement pauvre en informations individuelles, mais quasi exhaustif pour reconstituer des carrières. Il est alors possible de calculer les temps d’attente entre l’obtention d’un doctorat et la soutenance de la première thèse dirigée. Le second apport est théorique et empirique. Nous souhaitons revenir sur la question de la force des liens sociaux et nuancer l’idée qui s’est imposée avec les travaux de Granovetter selon laquelle elle tient surtout au contenu informationnel diffusé par le réseau. Les réseaux comptent dans le monde académique parce qu’ils engendrent aussi du soutien (en particulier le soutien des directeurs de thèse pour leur docteur), lequel prend une forme beaucoup plus exclusive que la circulation de l’information.
Pour tester l’importance des contacts, nous mettons en relation les phénomènes de recrutement avec le réseau constitué par les mobilités des directeurs de thèse. En changeant d’université, les directeurs étendent pour un temps leur nombre de contacts et peuvent en faire profiter leurs docteurs ou ceux de leurs collègues. Nous estimons l’impact de ce réseau à l’aide des calculs des Mantel Haenszel odds ratios d’une part et de modèles semi-paramétriques de Cox d’autre part. Nous utilisons la technique des « effets fixes » pour contrôler l’hétérogénéité inobservée. Ces modèles conduisent tout d’abord à souligner l’influence très importante des conditions locales de compétition sur la reproduction de la population académique, notamment lors des processus de recrutement sous-jacents à nos observations. Nous confirmons par nos données le phénomène bien connu du « localisme académique », qui traduit plus une préférence pour la proximité institutionnelle que pour la proximité géographique. Nous montrons aussi l’existence d’un phénomène de files d’attente locales, avec des aînés faisant de l’ombre à leurs cadets. Mais les contacts ne jouent pas seulement au niveau local. Ils fonctionnent également à distance pour favoriser le recrutement de candidats extérieurs liés par des intermédiaires, en particulier les docteurs d’un directeur de thèse qui vient de quitter le département. Dans un univers très compétitif, les relations ne se transforment toutefois pas systématiquement en appuis dans le processus de recrutement. Elles ne le deviennent que dans la mesure où celles-ci sont disponibles, c’est-à-dire où celles-ci n’ont pas à défendre leurs propres intérêts et à soutenir leurs propres candidats.
Annexes électroniques consultables en ligne sur http://sociologie.revues.org/205

Mots-clés

  • marché du travail
  • universités
  • recrutement
  • doctorats
Voir l'article sur Cairn.info